Faire une excuse en sincérité radicale
De la honte à la responsabilité, une invitation à s'excuser sans se justifier
Dans toute relation de collaboration, les erreurs sont inévitables : délais non respectés, maladresses, engagements rompus… Comment réagir de manière à préserver le lien dans ces moments ?
Des dizaines de stratégie sont possibles (l’attente, la culpabilisation, l’attaque etc…). Dans l’édition d’aujourd’hui nous allons rentrer dans la stratégie de l’excuse, sous le prisme de la sincérité radicale. Comment faire une excuse d’une manière efficace, qui prend soin de la relation ?
Et disons-le : s’excuser ce n’est pas s’aplatir, se justifier ou se dé-responsabiliser. S’excuser, c’est admettre son tort, prendre sa responsabilité et chercher à réajuster ce qui a besoin d’être réajusté.
Ces dernières années j’ai expérimenté le pouvoir de l’excuse dans des dizaines de situation, qu’elles soient professionnelles ou personnelles. Et apprendre à faire des excuses en sincérité radicale a permis de rectifier un grand nombre d’entre elles - à rétablir le lien là où l’envie était partagée, à recréer du dialogue et à dénouer des nœuds.
Dans cette édition :
Pourquoi s’excuser
Le triangle de Karpman et les pièges des excuses - ne pas devenir victime, sauveur.se ou persécuteur.trice
Les ingrédients d’une excuse en sincérité radicale
Merci à toutes les personnes qui m’ont montré comment faire des excuses en sincérité radicale, qui ont accepté mes erreurs et mes excuses, et à toutes les inspirations qui ont contribué à cette newsletter (les sources sont en bas de l’article).
Pourquoi s’excuser ?
“Nous sommes tous connectés, nous faisons tous des erreurs, nous sommes tous des êtres humains imparfaits, et pour cette raison, le besoin de donner et de recevoir des excuses existera jusqu'à notre dernier souffle. Lorsqu’elles sont bien faites, les excuses sont très réparatrices. En revanche, lorsqu’elles sont absentes ou mal formulées, elles peuvent compromettre une relation, voire mener à sa fin.” Harriet Lerner, autrice de “Why won’t you Apologize”, dans le podcast de Brené Brown.
Je vois 3 enjeux à développer notre capacité collective à nous excuser :
Des équipes plus résilientes : laisser de côté le blâme et prendre un juste degré de responsabilité dans nos actions.
Une culture de confiance : favoriser des espaces de sécurité psychologiques où chacun.e peut contribuer sans crainte de jugement ou de représailles.
Des relations durables où l’on respecte le vécu des personnes affectées sans minimiser leur réaction
💡Le déclic de la semaine - le triangle de Karpman
S’excuser est un acte courageux et utile dans les relations qui comptent pour nous. C’est ce qui peut permettre à l’autre personne de se sentir prise en considération, de réparer éventuellement le lien, et surtout de rectifier ce qui a besoin de l’être.
Pour autant, c’est un art complexe. Complexe, parce qu’il peut vite nous faire tomber dans des rôles inefficaces.
Ces rôles, décrits par Stephen Karpman dans le triangle dramatique, illustrent trois dynamiques inefficaces que nous adoptons souvent sans en avoir conscience. Dans ce schéma, chacun peut occuper ou passer de l’un de ces rôles à l’autre :
Victime : sentiment d’impuissance, impression de subir la situation sans possibilité d’agir
Sauveur.se : une charge mentale / émotionnelle très forte et croyance qu’il faut absolument réparer pour apaiser l’autre
Persécuteur.trice : urgence d’action, potentielle culpabilité, voire sentiment de honte.
Brené Brown, dans son ouvrage Dare to Lead y décrit la différence entre honte et culpabilité : la honte nous fait croire que "nous sommes mauvais", tandis que la culpabilité signifie que "nous avons fait une erreur". Cette dernière, quand elle s’aligne sur nos valeurs, peut nous encourager à reconnaître notre responsabilité et l’impact de nos actions.
Les trois rôles victime - persécuteur.trice - sauveur.se sont des impasses. Parfois, une excuse mal formulée nous y entraîne malgré nous. Par exemple, en cherchant à nous justifier, nous risquons de nous placer en victime, attendant de l’autre qu’il nous rassure, ce qui peut l’empêcher d’exprimer pleinement ce qu’il ressent. Inversement, si nous réagissons de manière excessive, nous pourrions nous transformer en persécuteur, ce qui peut faire sentir l’autre impuissant et minimiser son ressenti.
Brené Brown, chercheuse en sciences sociales, fait dans son livre Dare to lead la distinction suivante :
La honte : “je suis mauvais.e”. VS La culpabilité : “j’ai fait une mauvaise chose” => arrive quand nous faisons quelque chose qui est contre nos valeurs.
Dans ce cas-là, ressentir de la culpabilité peut nous amener à prendre la responsabilité de notre action et de son impact potentiel.
💙Les ingrédients d’une excuse en sincérité radicale
❌ Attendre le pardon: Espérer que l’autre nous pardonne peut créer une forme d’attente qui peut pousser l’autre à se mettre en position de “sauveur.se”. Cela risque de l’éloigner de son propre ressenti, de sa colère, et de son expérience de l’événement.
✅ Clarifier son intention et prendre des initiatives :
Avant de vous excusez, clarifiez votre intention : voulez-vous recréer du lien ? de créer de l’écoute ? rectifier une erreur ?
Clarifiez l’intention dans la discussion avec la personne concernée.
Proposer des options pour que la situation ne se reproduise pas / pour réparer le tort causé
“Voici ce que je peux faire pour agir différemment la prochaine fois”, “pour compenser l’annulation de ce moment de dernière minute, voici ce que je te te propose…”
❌ Se justifier. Le malaise que nous ressentons peut nous amener à vouloir nous justifier pour éviter la culpabilité, mais cela nous enferme dans le triangle victime-sauveur-persécuteur.
✅ Admettre sa responsabilité et rester centré.e sur nos propres actions, et non la manière dont l’autre personne a réagi.
“Je sais que mon action a eu tel impact sur toi et j’en prends la responsabilité. Je prends aussi la responsabilité que ça n’arrive pas de nouveau, et voici de quelle manière je vais m’y prendre”
❌ Chercher la validation de l’autre. Expliquer pourquoi vous avez agi ainsi peut se transformer en tentative de validation qui pourrait détourner la responsabilité ou même faire culpabiliser l’autre. Par exemple : “J’ai réagi comme ça parce que tu avais…” “J’ai agi comme ça parce qu’avant tu avais…”
✅ Ecouter, supporter l’émotion et le vécu de l’autre, sans chercher à les réduire ou les défendre.
“Supporter la colère légitime de l’autre, au lieu de s’en défendre, de se justifier, permet de l’atténuer” Nicole Prieur, dans son livre Les trahisons nécessaires, s’autoriser à être soi
Quelques exemples de questions dans ce cas là : “quel impact est-ce que mon action a eue pour toi ?”, “de quoi aurais-tu besoin ?”
❓La question de la semaine : à qui pourriez-vous faire une excuse radicalement sincère ?
(et avant de faire cette excuse, clarifiez votre intention !)
Pour continuer à lire sur ce sujet, vous pouvez consulter les sources suivantes :
Les trahisons nécessaires, s’autoriser à être soi, Nicole Prieur
Cet article wikipedia très fourni sur le triangle de Karpman
Dare to Lead, Brené Brown
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Dans les éditions précédentes de Construire des Ponts
Les ruptures professionnelles sont de vraies ruptures - comment mener nos ruptures professionnelles en prenant soin du lien ?
Laisser de la place à la colère - exprimer sa colère sans détruire les relations
Quand l’organisation prend soin des relations (tout n’est pas histoire de responsabilité individuelle)
Le pouvoir de l’appréciation - ou comment devenir supporteur / supportrice
Prendre soin des conflits (car ils sont inévitables, et utiles !)
Oser la sincérité radicale ( ce n’est pas l’honnêteté brutale ni l’empathie toxique)
Créer les conditions de l’écoute (ça ne suffit pas de bien écouter)
Dire non pour prendre soin de la relation (où vous découvrirez la carte de fidélité au non)
Coopérer avec ses concurrents (peut être découvrirez-vous de nouvelles zones d’opportunité)
Penser long terme (parfois les solutions que nous essayons sont de fausses bonnes idées)
Revenir à son intention (garder le cap, même en cas de conflit)
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