Et si on créait plus de sécurité psychologique au travail ?
Au lieu d'exiger plus d'authenticité au travail, créons plus de sécurité psychologique
Libération de la parole, tours de partage profonds, invitation au feedback… Depuis plusieurs années, les initiatives pour créer des dialogues authentiques et ouverts dans les organisations fleurissent.
L’ouverture dans une équipe est l’un des plus grands facteurs d’efficacité du travail en équipe (source : les travaux de William Schutz - Elément Humain). Et pour raison, plus les informations sont partagées, plus il est possible de résoudre les problèmes tôt, et plus on peut faire levier sur ce qui fonctionne bien.
Cependant, les invitations à développer l’ouverture peuvent rencontrer de grands écueils, notamment quand il y a dissonance entre l’exigence de libérer la parole, et l’accueil de la parole.
Quand la sécurité est absente et que les personnes dont on exige la sincérité se font réprimander pour leurs feedbacks, leurs remontées, qu’elles sont mises au placard pour avoir osé dénoncer un comportement déviant, ou qu’elles sont jugées trop émotives, la question n’est plus de libérer la parole.
La question à ces moments là est de créer des conditions de sécurité psychologique dans l’équipe.
L’édition de cette newsletter creuse ce thème.
PS : avant de rentrer dans le thème, j’ai le grand plaisir de vous annoncer qu’à partir d’avril, les abonnés membres du camp de base auront accès à des ateliers mensuels pour prolonger les thèmes de cette newsletter. Premier atelier le 15 avril !
💡Le déclic de la semaine - Et si La sécurité psychologique
La sécurité psychologique a été popularisée dans les dernières années par Amy Edmondson, chercheuse en sur les sujets de leadership à l’université d’Harvard.
Pour elle, c’est « la croyance partagée par les membres d’une équipe que celle-ci est sécuritaire pour la prise de risques interpersonnels”
Autrement dit, la croyance que je peux apprendre, tester de nouvelles choses, prendre la parole, m’intégrer dans un groupe, signaler des erreurs, adopter des comportements différents, sans crainte que mon équipe (manageur.se, collègues) m’embarrasse, me rejette ou me punisse.
En 2012, une équipe de recherche interne chez Google (le projet Aristote) a lancé une grande étude pour analyser les facteurs de succès des équipes chez google. 5 facteurs principaux sont ressortis de cette étude et le tout premier était la sécurité psychologique.
La sécurité psychologique est, comme nous le verrons plus tard dans l’article, un levier important d’innovation, de créativité et d’efficacité pour les équipes. Elle permet une culture où les individus peuvent se concentrer sur les objectifs collectifs, la résolution et prévention des problèmes plutôt que sur l’autoprotection (source)
Timothy R.Clark, anthropologue des organisations articule la sécurité psychologique autour de 4 étapes :
Les enjeux de la sécurité psychologique dans chacune des étapes :
👋 Inclusion
L’inclusion joue à de nombreuses étapes de la vie d’une équipe, notamment la constitution d’une équipe, ou l’arrivée d’une nouvelle personne dans l’équipe. A ces moments-là, l’existence de sécurité psychologique est ce qui permet aux personnes de :
Sentir qu’elles ont une place dans le groupe
Rentrer dans le groupe plutôt que d’être à l’extérieur du groupe
Comprendre ce qui est attendu d’elles et comment elles peuvent se positionner dans le groupe
» La question à vous poser en tant qu’équipe : comment pouvons-nous aider les personnes à se sentir faire partie du groupe ?
💡 Apprentissage
Aujourd’hui de nombreuses organisations mettent en place des parcours de formation, d’accompagnement à la montée en compétences.
La sécurité psychologique est le terreau nécessaire pour la mise en pratique de ces programmes, et pour que les personnes accompagnées puissent :
Poser des questions, notamment quand elles ne savent pas
Ne pas se sentir mises en danger quand elles ne sont pas encore à la hauteur des attentes
Expérimenter en toute sécurité : pouvoir tester leurs compétences dans des environnements qui vont les aider à identifier leurs manquements et valoriser et amplifier leurs forces
» La question à vous poser en tant qu’équipe : comment pouvons-nous aider les membres du groupe à apprendre en continu, à tester, expérimenter en sécurité ?
💪 Contribution
La sécurité psychologique à l’étape de la contribution permet aux personnes de :
Comprendre clairement leur rôle, contribution dans une équipe
Comprendre les mécanismes de prise de décision, circulation de l’information
S’exprimer et jouer un rôle actif dans leur équipe
Faire des erreurs et être accompagnées dans ces erreurs plutôt que punies et écartées du groupe
» La question à vous poser en tant qu’équipe : comment pouvons-nous clarifier les modalités de contribution et permettre à chacun·e de jouer un rôle actif ?
🛑 Challenge
En moyenne aux Etats-Unis, 195 000 personnes meurent chaque année suite à des erreurs commises lors de leur séjour à l'hôpital. Selon les auteurs de Silence Kills (David Maxfield, Joseph Grenny, Ron McMillan, Ketty Patterson, Al Switzler), plus de de 60% des décès pourraient être évités si le personnel soignant osait s'exprimer.
Cette étape est ce qui permet de passer le seuil de l’innovation, et de favoriser la capacité d’une organisation à réellement innover.
La sécurité psychologique à cette étape permet aux personnes de :
Détecter et partager les failles du système
Proposer de nouvelles idées
Résoudre des problèmes
C’est ce qui permet à une organisation d’évoluer, de changer et de grandir en continu.
» La question à vous poser en tant qu’équipe : comment pouvons-nous permettre aux membres de notre équipe de remettre l’existant en question et d’oser proposer de nouvelles idées ?
L’outil - Créer de la Sécurité Psychologique aux 4 étapes
Dans les étapes ci-dessous, le détail des 4 étapes de la sécurité psychologique selon Timothy R.Clark, le ressenti des personnes qui peuvent y être liées et les astuces pratiques pour faciliter cette sécurité dans vos équipes
1. Sécurité d’inclusion 👋
Faire sentir aux personnes qu’elles sont acceptées dans le groupe
Le ressenti des personnes dans cette étape :
Personne n’est rejeté·e à cause d’une différence, et personne n’est exclu·e
Je sais et je comprends ce qui est attendu de moi dans cette équipe
En pratique :
Clarifier les modalités d’inclusion : qui nous invitons, quand, pourquoi, pourquoi nous n’invitons pas telles personnes à tel moment
Valoriser la présence des différentes personnes et l’importance de leur présence
Clarifier les acronymes / langages complexes / l’historique des projets aux nouvelles personnes
Créer les conditions de participation pour toutes et tous (c.f l’épisode récent avec Thomas E. Gérard sur l’inclusion)
Clarifier les règles du groupe, par exemple avec une charte de valeurs
2. Sécurité d’apprentissage 💡
Permettre aux personnes d’apprendre, poser des questions, observer, tester, faire des erreurs
Le ressenti des personnes dans cette étape :
Quand quelque chose dysfonctionne, je travaille avec mon équipe pour trouver les causes dans le système
C’est facile pour moi de demander de l’aide à des membres d’équipe
Je sais comment développer mes compétences et je me sens soutenu·e pour grandir dans mon rôle
Je me sens en sécurité pour dire quand je ne sais pas / quand je n’ai pas la réponse à une question
En pratique :
Adopter et valoriser des attitudes de curiosité : poser des questions, dire “je ne sais pas”
Encourager les contributions, spécifier qu’il n’y a pas de bonne / mauvaise question, remercier les personnes de prendre la parole
Créer des espaces d’expérimentation. Par exemple : des ateliers pilotes, des systèmes de mentorat, des systèmes d’accompagnement / de montée en compétence entre pairs
Adopter une posture d’écoute et de non jugement des questions posées / éléments partagés
3. Sécurité de contribution 💪
Permettre aux personnes de contribuer pleinement, être membre à part entière de l’équipe, avoir du pouvoir d’action et de l’autonomie
Le ressenti des personnes dans cette étape :
Je sens que mes idées sont valorisées, et je me sens en sécurité pour les proposer
Quand je travaille avec cette équipe, je sens que mes compétences et talents uniques sont valorisés et utilisés
Je me sens en sécurité pour proposer des idées dans mon équipe
En pratique :
Clarifier les rôles, fiches de postes, contributions et tâches des personnes de l’équipe, les modalités de prise de décision (ici un graphique avec des dizaines de modalités de prise de décision) et les circuits de circulation de l’information (par exemple avec la matrice RACI)
Redistribuer régulièrement les rôles lors des groupes projets, pour que les personnes tournent de rôle
Créer des espaces pour que les personnes qui ont moins de pouvoir puissent s’exprimer. Par exemple avec un quota de prise de parole : chaque personne ayant 3 jetons / tickets pour s’exprimer (source : Nouhad Hamam), ou en séparant le groupe selon des critères (par exemple : les personnes expérimentées de l’équipe et les nouvelles recrues) et en alternant chaque prise de parole d’une personne d’un groupe avec une personne d’un autre groupe (source : Camille Marronnier)
Clarifier les modalités de gestion des erreurs pour avoir des réponses adaptées. Psych Safety parle de 3 types d’erreur : les glissades et manquements, les erreurs et les violations (source)
4. Sécurité de challenge 🛑
Autoriser le challenge de l’existant, le feedback d’amélioration, la remise en question de ce qui est déjà fait.
Le ressenti des personnes dans cette étape :
Je me sens en capacité de faire remonter les problèmes et mes inquiétudes
Je me sens en sécurité pour prendre un risque intelligent dans cette équipe
En pratique :
Demander du feedback régulier : demandez du feedback individuellement, encouragez à ce que des personnes vous fassent des retours, et une fois que vous recevez ces retours, écoutez. Sans vous justifier, chercher à analyser, comprendre. Prenez l’information
Montrer que le feedback est utile et utilisé : améliorez les endroits qui peuvent l’être, et montrez aux personnes que leur feedback est transformé en action et/ou donnez aux personnes qui remontent les feedbacks des moyens opérationnels (temps, monétaire, compétences…) de pouvoir résoudre les problématiques
Organiser des revues annuelles / mensuelles / saisonnières pour mettre à jour les systèmes, les processus, les projets
Sources
Maillet, S. & Marcoux, G. (2023). La sécurité psychologique au travail : une perspective théorique. Ad machina, (7), 304–322.
La fiche de Rework - Google - how to foster Psychological Safety on your teams
Le post LinkedIn de Thomas Lahnthaler - Les facilitateurs·trices ne créent pas de sécurité psychologique
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Dans les éditions précédentes de Construire des Ponts
Les histoires qu’on se raconte et comment les vérifier (ou pas) - le rôle des suppositions dans la communication
L’effet boomerang de l’honnêteté - comment sortir de l’honnêteté brutale
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Les ruptures professionnelles sont de vraies ruptures - comment mener nos ruptures professionnelles en prenant soin du lien ?
Laisser de la place à la colère - exprimer sa colère sans détruire les relations
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Le pouvoir de l’appréciation - ou comment devenir supporteur / supportrice
Prendre soin des conflits (car ils sont inévitables, et utiles !)
Oser la sincérité radicale ( ce n’est pas l’honnêteté brutale ni l’empathie toxique)
Créer les conditions de l’écoute (ça ne suffit pas de bien écouter)
Dire non pour prendre soin de la relation (où vous découvrirez la carte de fidélité au non)
Coopérer avec ses concurrents (peut être découvrirez-vous de nouvelles zones d’opportunité)
Penser long terme (parfois les solutions que nous essayons sont de fausses bonnes idées)
Revenir à son intention (garder le cap, même en cas de conflit)
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