“A ta place je ferais cela…”, “As-tu déjà pensé à… ?” “Je connais quelqu’un qui a fait… dans cette situation”
Nous avons déjà tous et toutes reçu et donné des conseils non sollicités. Malgré une intention de bienveillance, les conseils non sollicités peuvent se révéler maladroits, passifs-agressifs, ou tout à fait inappropriés.
J’adore le moment dans les formations où j’invite à suspendre les conseils non sollicités, j’observe toujours des soupirs de relâchement des groupes à ce moment-là. “Ouf, je ne vais pas devoir donner de conseils dans des moments où je ne sais que dire”. “Et ouf, on ne va pas me donner de conseils non pertinents, ou m’imposer une vision du monde que je ne sollicite pas.” “Aaaah, on va pouvoir réellement s’écouter.”
Dans cette édition de Construire des Ponts, nous allons explorer les conseils non sollicités, leur origine, leur impact dans les relations, et comment transformer un élan d’aide dans une réaction appropriée et consentie envers la personne que l’on cherche à aider.
PS : j’ai le grand plaisir de vous écrire désormais depuis Nantes, où je viens d’emménager (d’où le léger retard de cette édition)
PPS : avant de rentrer dans le thème, j’ai le grand plaisir de vous annoncer qu’à partir d’avril, les abonnés membres du camp de base auront accès à des ateliers mensuels pour prolonger les thèmes de cette newsletter. Premier atelier le 15 avril !
Merci au comité de relecture de cette newsletter - Amélie Bridot, Jean-David Veujoz, Anne Vareille, Marine Pineau, merci Stéphanie Chipaux pour les commentaires LinkedIn qui ont permis de compléter cet article, merci Claire Garin et AnnGaïd Plourde pour les partages des visuels dessinés qui illustrent cet article et à Kevin Poussin pour les apports en co-construction de cette édition.
NB avant la lecture de cet article : le propos de cet article n’est pas de dénigrer les conseils, bien au contraire. Donner et demander des conseils peut être extrêmement utile. Le processus de rédaction de cette newsletter en est un flagrant exemple (rares sont les éditions que je ne fais pas relire). Le propos de cette newsletter est d’adresser les moments où les conseils ne sont pas sollicités, et de démêler ce qui se passe dans ces moments pour trouver des manières appropriées de nous soutenir (et parfois, s’abstenir de conseils non sollicités en fait partie).
💡Le déclic de la semaine - Les conseils non sollicités
Un conseil non sollicité est un conseil que l’on reçoit sans l’avoir demandé. Par exemple, lors d’une conversation où vous partagez ce qui vous arrive, la personne d’en face vous partage des conseils sur ce que vous pourriez faire dans cette situation.
Pourquoi donnons-nous des conseils non sollicités ?
Derrière un conseil non sollicité, on peut imaginer des intentions très positives : vouloir aider l’autre, lui rendre service, l’aider, particulièrement face à des personnes que nous voyons débuter dans des sujets (par exemple, les parents, qui font l’objet de moultes conseils non sollicités), ou tâtonner dans leur démarche. Mais parfois, souvent, les conseils non sollicités tombent à côté de la plaque.
Derrière un conseil non sollicité peuvent se cacher différentes croyances sur ce que cela veut dire de soutenir quelqu’un.
Les différentes formes de conseils non sollicités :
Le jugement sur la situation / la personne
“Tu es sûre de vouloir faire comme cela ?”
“Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça”
La croyance qui peut fonder cela : ta vision des choses est erronée, j’en ai une meilleure. Ou ton émotion est disproportionnée par rapport à ce qui se passe réellement. Ou, je n’ai pas confiance dans ta capacité à résoudre cela par toi-même.
Le conseil de ce qu’il faudrait faire
“Tu devrais lâcher prise”
“As-tu pensé à faire ceci pour cette situation ?”
La croyance qui peut fonder cela : j’ai des solutions auxquelles tu n’as pas pensé et qui sont sûrement pertinentes pour toi
L’optimisme forcé
“Ne t’inquiète pas, tout ira bien !”
“Regarde le côté positif !”
La croyance qui peut fonder cela : ça me gêne d’entendre ce problème, je suis mal à l’aise avec ton émotion. Ou je me sens impuissant·e à t’aider.
Le hold-up de situation (on ramène la situation à soi)
“Moi à ta place…”
“Je connais quelqu’un qui a fait...”
“Ce que je ressens dans cette situation…” (où la personne qui conseille peut amener ses propres croyances, ressentis et peurs et les projette sur son interlocuteur·trice)
La croyance qui peut fonder cela : partager des solutions va aider la personne à résoudre son problème.
L’action directe sans vérifier que la personne est d’accord
Par exemple, la mise en relation de deux personnes sans avoir vérifié le consentement de l’une ou de l’autre.
La croyance qui peut fonder cela : j’ai une super idée et la personne sera forcément d’accord pour cela, parce que ça peut lui apporter telle ou telle chose
Les impacts potentiels d’un conseil non sollicité
Ce qui est problématique dans cette situation n’est pas le conseil en lui-même, mais son timing, et surtout le fait qu’il n’a pas été sollicité. Et donc, que l’on donne à quelqu’un quelque chose qu’il ou elle n’a pas demandé à ce moment là.
Cela peut avoir plusieurs impacts à ce moment-là :
Une réaction de défensive, que ce soit sous forme d’évitement, frustration, tristesse, colère… “bon, ce que je ressens ne doit pas vraiment l’intéresser, je vais passer à autre chose”, ou encore “mais pour qui il·elle se prend ? je ne lui ai rien demandé, j’avais juste besoin de lui partager ce qui se passait pour moi, pas qu’il·elle fasse de l’ingérence. Ras-le-bol qu’on me prenne pour une tarte”
Une diminution de la confiance en soi de la personne, qui a sûrement des ressources pour répondre à son besoin ; “ah oui, c’est vrai, il·elle doit avoir raison. je suis bête de ne pas y avoir pensé.”
L’invalidation ou minimisation de l’expérience de la personne, le “mais ça va aller” ou “ça n’est pas si grave que ça”, qui peut empêcher la personne de valider sa propre expérience et de se sentir légitime dans son vécu ; “Mais finalement, peut-être qu’il·elle a raison, peut-être que je me fais tout un fromage de cette histoire. Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Je ne dois pas être normal·e de ressentir ça”
Une rupture de confiance : “je te partage quelque chose d’important pour moi, et tu me donnes un conseil alors que j’ai juste besoin d’être écouté·e” ;
L’accentuation des échecs personnels : “en fait j’ai déjà essayé tout ce que tu me conseilles et ça ne fonctionne pas, je n’y arrive vraiment pas …”
Un enfermement dans le triangle dramatique de Karpman : un conseil non sollicité peut placer inconsciemment la personne qui le reçoit en position de “victime” et celle qui le donne en “sauveur·se” (voir cet article pour plus de détails), déposséder la personne de son sujet, voire démarrer / entretenir une forme dépendance vis-à-vis de la personne qui conseille. “Heureusement que cette personne est là, sinon je serai complètement perdue. Et puis de toute façon je n’arriverais jamais à m’en sortir sans elle”
Minute humour - merci Claire Garin de m’avoir partagé ces planches du New Yorker
Traduction du texte dans l’image “Concentre-toi sur le positif dans la situation”. Source de l’image
Donner un conseil non sollicité, c’est donc parfois :
Nier les ressources de la personne
Imposer sa lecture de la situation
Sortir de l’écoute active
Privilégier la solution plutôt que l’accueil de l’émotion
Renvoyer de la peur à l’autre plutôt que de la confiance
Les alternatives au conseil non sollicité pour soutenir la personne :
Clarifier votre propre intention :
Est-ce un problème / sujet qui vous touche directement ?
Est-ce que la personne vous a demandé votre avis ?
Qu’est-ce qui me donne envie de répondre ? Est-ce que ça répond à un besoin personnel ? Relationnel ?
Est-ce qu’il y a un écho entre cette situation et une situation que je peux vivre de mon côté ? (Parfois un conseil non sollicité peut être un conseil qui nous serait utile à nous-mêmes)
Clarifier les besoins : “je vois que c’est un gros sujet pour toi. De quoi est-ce que tu as besoin vis-à-vis de moi ? (conseils, écoute…)
Demander à la personne si cela l’intéresse d’avoir un partage d’expérience / conseil
Soutenir la personne sans orienter : “je vois que c’est difficile pour toi comme situation, je suis là avec toi”
Parler de ce qui vous touche : “je me sens touchée par ce que tu traverses, merci de me le partager”
Continuer à écouter : bien souvent, écouter suffit.
Et pour identifier des stratégies pour répondre à un conseil non sollicité, vous pouvez (re)lire l’article sur les limites !
🧰 L’outil de la semaine - Clarifier l’intention d’une discussion
Pour éviter de recevoir un conseil non sollicité, et de manière générale avant des conversations, j’aime beaucoup clarifier mon intention dans la discussion que je vais avoir avec une personne. Par exemple, une discussion peut répondre à un besoin de :
Partager en étant simplement écoutée
Avoir un conseil et l’avis de la personne d’en face
M’aider à clarifier ce qui se passe pour moi (dans ce cas-là je peux avoir besoin de reformulations et/ ou de questions)
Prendre une décision avec quelqu’un sur un sujet qui nous concerne mutuellement (dans ce cas-là, j’aurai besoin que l’autre personne s’exprime également sur le sujet)
…
Plus l’intention de votre discussion sera claire, plus vous éviterez les malentendus et les conseils non sollicités.
❓La question de la semaine : que ferez-vous la prochaine fois que vous avez la tentation de donner un conseil non sollicité ?
Pour continuer à lire sur ce sujet, vous pouvez consulter les sources suivantes :
Cet article wikipedia très fourni sur le triangle de Karpman
L’épisode de podcast La liberté commence par le lien, plaidoyer pour l’autonomie relationnelle, avec Kevin Poussin, qui aborde notamment le triangle de Karpman
Revenir à son intention (garder le cap, même en cas de conflit)
Créer les conditions de l’écoute (ça ne suffit pas de bien écouter)
🛑 Pour développer votre capacité à communiquer de manière sincère et sécurisante pour vos interlocuteurs, rejoignez le défi Sincérité Radicale - prochaine session 27 février - 20 mars 2025.
🤝 Pour développer vos compétences de collaboration, rejoignez-moi pour la formation Radical Collaboration. Prochaines dates : 21-24 mai en résidentiel dans le jura. Inscriptions à ce lien. laissez-moi votre mail pour être informé.es d’autres dates à ce lien. (dates en cours de programmation à Nantes)
Dans les éditions précédentes de Construire des Ponts
Et si on créait plus de sécurité psychologique au travail ? Au lieu d’exiger plus d’authenticité.
Les limites, épisode 2 - Ecouter et respecter les limites des autres
Les histoires qu’on se raconte et comment les vérifier (ou pas) - le rôle des suppositions dans la communication
L’effet boomerang de l’honnêteté - comment sortir de l’honnêteté brutale
Faire une excuse en sincérité radicale - de la honte à la responsabilité, une invitation à s’excuser sans se justifier
Les ruptures professionnelles sont de vraies ruptures - comment mener nos ruptures professionnelles en prenant soin du lien ?
Laisser de la place à la colère - exprimer sa colère sans détruire les relations
Quand l’organisation prend soin des relations (tout n’est pas histoire de responsabilité individuelle)
Le pouvoir de l’appréciation - ou comment devenir supporteur / supportrice
Prendre soin des conflits (car ils sont inévitables, et utiles !)
Oser la sincérité radicale ( ce n’est pas l’honnêteté brutale ni l’empathie toxique)
Créer les conditions de l’écoute (ça ne suffit pas de bien écouter)
Dire non pour prendre soin de la relation (où vous découvrirez la carte de fidélité au non)
Coopérer avec ses concurrents (peut être découvrirez-vous de nouvelles zones d’opportunité)
Penser long terme (parfois les solutions que nous essayons sont de fausses bonnes idées)
Revenir à son intention (garder le cap, même en cas de conflit)
Cet article est placé sous la licence Creative Commons : Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions CC BY-SA
Génial. Cela a mis des mots sur des situations vécues.
Merci pour la pertinence de cette newsletter et de tes partages qui font grandir