“Je n’ai pas envie de blesser l’autre”, “C’est difficile pour nous d’être en désaccord sans que ça soit inconfortable”, “Je ne sais pas trop comment dire ça”, “J’aimerais bien qu’on soit tous d’accord”.
Un des sujets phares que je porte avec cette newsletter est celui des conversations sincères, celles où on peut se dire les choses tout en prenant soin de la relation. Au fur et à mesure des conversations que j’entretiens avec des membres d’équipe, managers, entrepreneurs, je vois un sujet émerger de manière récurrente (surtout au bout de quelques temps d’existence d’une équipe ou d’une relation). Celui des désaccords. Et de comment grandir dans la capacité à vivre les désaccords de manière fertile.
Dans cette édition de la newsletter, quelques définitions sur le désaccord et le conflit (pour différencier conflit et violence), les récits collectifs que nous pouvons entendre et construire autour des désaccords et du conflit, le rôle du conflit pour une relation, et un outil pour accueillir le désaccord.
Ambiance musicale de cette newsletter
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💡Le déclic de la semaine - Le désaccord peut nourrir une dynamique d’équipe
Qu’est-ce qu’un désaccord ?
Commençons par repréciser ce qu’est un désaccord. En m’inspirant de différentes approches et définition du conflit, je vous propose une définition en continuum qui peut aller du désaccord relativement neutre en termes d’émotion au conflit.
Une différence clé ici est celle entre le conflit et la crise explosive (merci à l’ouvrage d’Amanda Ripley - High Conflict - qui m’a permis de découvrir cette nuance). Le point de rupture entre les deux est le moment où l’intégrité physique ou psychique d’une ou plusieurs parties prenantes est mise à mal, de manière réelle et concrète (source : Sarah Schulman, le conflit n’est pas une agression).
Une histoire de désaccord
Nous avons toutes et tous nos croyances sur le désaccord. Notre historique familial, éducatif, affectif, relationnel, professionnel les teintent généralement, et peuvent impacter la manière dont on perçoit et on agit lorsqu’un désaccord se présente.
Une des phrases, croyances, récits que j’ai entendu sur le désaccord est que le désaccord est dangereux. Ce récit peut prendre plusieurs variantes:
“Si je ne suis pas d’accord avec l’autre, l’autre coupera le lien avec moi”
“Si je ne suis pas d’accord avec l’autre, ça risque de devenir violent”
“Si je ne suis pas d’accord avec l’autre, ça remet notre relation en question”
“Si je ne suis pas d’accord avec l’autre, ça veut dire que quelque chose cloche”
…
Derrière ces peurs d’affecter l’autre, de perdre la relation, il peut aussi y avoir la peur de ne pas satisfaire ses besoins (source : Mener vos conversations difficiles en 50 règles d’or, Eric Daubricourt), de s’oublier, de rentrer dans des compromis mous ou de céder sur ce qui est important pour nous.
Si on regarde les désirs derrière ces peurs et ces récits, ils parlent d’envie de lien :
De garder le lien avec l’autre personne, prendre soin de la relation, de la nourrir ;
De trouver des manières pour échanger d’une manière qui n’est pas violente, mais respectueuse, voire douce
Plus j’accompagne des collectifs sur ces questions, et plus je pratique l’art du désaccord fertile dans ma vie personnelle et professionnelle, plus je vois qu’il est possible de vivre le désaccord comme un renforcement du lien.
Je pense à ce collectif dont la session d’il y a quelques jours m’a marquée. Une personne qui partageait un moment fort pour elle, un désaccord profond avec le positionnement d’autres personnes dans le groupe. Une fois ce temps d’écoute pris, les témoignages du groupe étaient éclairants : une sensation de sécurité plus grande après avoir évoqué ce sujet, du soulagement et un renforcement de la confiance.
En dézoomant, on peut même voir la capacité d’un groupe à accueillir le désaccord comme une compétence qui permet de faire grandir le groupe.
La vision “désaccord = danger” représente ce que l’Université du Nous décrit comme l’étape juste avant le Nous conflictuel. Une étape de vie de groupes / équipes / collectifs, où le conflit est perçu comme mal, et où la bienveillance est érigée non pas comme un horizon vers lequel tendre mais comme un diktat.
Quel est le rôle du désaccord dans une équipe ?
Le désaccord et le conflit jouent en réalité des rôles fondamentaux dans une équipe :
Accélérer la résolution des problèmes
Réduire le coût et le temps passé à éviter les conversations inconfortables (ou conversations courageuses comme les appelle Brené Brown)
Permettre aux individus de partager leur point de vue singulier (plutôt que de chercher un point de vue uniformisé)
Favoriser la sécurité psychologique. Selon Timothy R.Clark, pouvoir challenger des idées, faire des feedbacks sur l’existant et partager ses désaccords est une étape clé dans la sécurité psychologique, et la porte d’entrée vers l’innovation (voir mon article à ce lien sur ce sujet)
Permettre une communication constructive, où les différences d’opinions ne sont pas des polarités, mais des opportunités pour apprendre à mieux connaître les réalités des autres
Ouvrir le champ des possibles. Accepter le désaccord, c’est accepter que les autres voient les choses différemment et que leur ressenti / lecture du monde est tout aussi légitime.
"Souvent, j'ai l'impression que les gens débattent pour une mauvaise raison. Les gens débattent soit pour évacuer un trop plein d'émotions, soit pour essayer de convaincre les autres. Or, pour moi, le débat a une vertu fondamentale : de mieux comprendre les autres." Florent Guignard, Episode “Sortir de la polarisation”, podcast l’Aventure du lien
Accueillir les désaccords, c’est passer dans l’étape du “Nous mature” selon l’Université du Nous. Une phase où :
Il est possible de se dire les choses
“Je n’ai plus à me soucier systématiquement de ce qui se passe dans la tête des autres, je suis en confiance que mes coéquipières et coéquipiers pourront aussi s’exprimer”
Source : vidéo ci-dessous
Si on élargit le spectre au-delà du professionnel, nous pouvons également regarder le rôle du désaccord et du conflit dans la vie démocratique.
Hannah Arendt, citée par Jean-Edouard Grésy dans le podcast Esprit de Coopération “C’est le propre d’une société totalitaire que de vouloir supprimer les conflits.” (source : L’épisode “Bien s’engueuler pour mieux coopérer”)
Des exemples ou désaccord = fertile
La bonne nouvelle est qu’il existe pléthores d’exemples qui montrent que le désaccord peut permettre d’acquérir de nouveaux points de vue, renforcer des relations ou résoudre des problèmes complexes. Par exemple :
Le projet “Faut qu’on parle”, où le principe était de faire se rencontrer des inconnus avec des opinions opposées. Le bilan : 6400 participants. (Lire le bilan de l’expérimentation à ce lien)
La justice restaurative, qui permet, entre autres, des rencontres indirectes entre des auteurs et victimes d’infraction. (voir le film Je verrai toujours vos visages, réalisé par Jeanne Herry à ce sujet)
Le principe même du dialogue social, qui a permis de négocier d’innombrables accords sociaux
🧰 L’outil de la semaine - Les boucles de feedback
Accueillir le désaccord nécessite du temps.
Laisser le temps de l’écoute.
D’accuser-réception de ce qu’on a entendu.
Et ensuite de passer, si besoin, dans une étape de demande et d’action.
Cette semaine j’avais envie de vous partager un outil d’écoute mis en avant par Amanda Ripley, journaliste qui a mené un travail d’enquête minutieux sur les conflits dégénératifs (ceux où la violence est présente) et sur les manières dont on peut en sortir (source : livre High Conflict résumé disponible à ce lien)
Cet outil est le “looping”, ou boucle d’écoute ou de feedback. Ou autrement dit, la reformulation.
Le fonctionnement d’une boucle d’écoute :
Une personne explique ce qui est important pour elle
L’autre personne écoute, et quand la personne qui écoute ressent que c’est important, elle lui fait un effet miroir : elle reformule et répète ce que la personne a dit, pour être sûr d’avoir bien compris. Et demande si c’est bien cela. Ce qui laisse l’opportunité à la personne qui s’exprimer d’ajuster son propos / préciser si besoin.
NB : la clé à ce moment là est que la personne qui écoute n’amène pas de question pour creuser, ni de conseils non sollicités, ni de contradictions pour amener sa vision du monde. Elle est à l’écoute pleine du monde de l’autre personne, de sa réalité des choses.
NBB : Ecouter ne veut pas dire être d’accord. Ecouter, c’est se laisser la curiosité d’aborder le sujet par le point de vue de l’autre, qui est tout aussi légitime que le notre.
Souvent, la reformulation n’est pas juste, et les personnes apprennent au fur et à mesure du temps à mieux écouter
❓ La question de la semaine : dans quelle relation pourriez-vous accueillir le désaccord ?
Pour approfondir ce sujet
Cet article de Greater Good Center de Berkeley sur des solutions à la polarisation politique
L’épisode “Bien s’engueuler pour mieux coopérer” par Jean-Edouard Grésy du podcast Esprit de Coopération
L’épisode 02. Florent Guignard - Sortir de la polarisation du podcast l’Aventure du lien
Le livre Mener vos conversations difficiles en 50 règles d’or, Eric Daubricourt)
Ressources de l’Université du Nous et leur livre “Ré-inventons le faire ensemble”
L’édition de Construire des Ponts sur la sécurité psychologique
Le livre High Conflict, Amanda Ripley (résumé disponible à ce lien)
Le livre Le conflit n’est pas une agression, Sarah Schulman
Le film “Je verrai toujours vos visages”, réalisé par Jeanne Herry
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Et si nos organisations prenaient le temps du lien ? - comment inclure le soin comme un sujet récurrent dans une équipe
Sortir de l’escalade du conflit par la pause, faire une pause n’est pas une fuite
Sortir des conseils non sollicités - Soutenir avec écoute
Et si on créait plus de sécurité psychologique au travail ? Au lieu d’exiger plus d’authenticité.
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Prendre soin des conflits (car ils sont inévitables, et utiles !)
Oser la sincérité radicale ( ce n’est pas l’honnêteté brutale ni l’empathie toxique)
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Dire non pour prendre soin de la relation (où vous découvrirez la carte de fidélité au non)
Coopérer avec ses concurrents (peut être découvrirez-vous de nouvelles zones d’opportunité)
Penser long terme (parfois les solutions que nous essayons sont de fausses bonnes idées)
Revenir à son intention (garder le cap, même en cas de conflit)
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